La voie de la souffrance

J’ai eu une très grave maladie du sang, une leucémie, découverte inopinément en septembre 2004, et que j’ai suivi un long et douloureux traitement pour une guérison qui s’annonce maintenant réelle. Pour vous fixer les idées, j’ai fait 5 mois d’hôpital sur les 6 premiers mois de maladie, j’ai eu 2 ans d’arrêt de travail, et j’ai changé de groupe sanguin. Je sais que cela a été une épreuve redoutable, pour moi, mais aussi pour tout mon entourage plus ou moins proche, dont les amis de Guyane et du Sud Ouest font partie. J'en ai parfaitement conscience, et c'est pourquoi je tenais à vous faire cette planche sur la maladie. Je vous parlerais ainsi de mes impressions dans la douleur, des changements dans ma conception de la vie, de quelques symboles qui peuvent avoir un rapport avec cette épreuve, enfin de la voie de la souffrance et d’une possible évolution culturelle et spirituelle permettant d’en atténuer les effets. Tout ce que je vais vous dire est bien entendu très subjectif, et n’engage que moi . Psychologiquement et classiquement face à une telle situation, trois attitudes se succèdent : celle du refus de la maladie d'abord, avec des raisonnements du type " je ne comprends pas" ou "pourquoi moi ?". Phase suivie d'une période d'abattement total, dans laquelle l'individu n' y croit plus, et finalement peut se retrouver en situation disons d'autodestruction. Enfin, la dernière phase correspond à une remontée du gouffre, à une acceptation de la situation, à une redéfinition de sa vie et à un redémarrage. Pour ma part, le premier choc a été dur lorsque l'on a découvert cette maladie, car je ne m'attendais vraiment pas à une telle maladie du sang , dés mon départ de la Guyane pour Toulouse, et je ne me sentais pas malade, mais en forme comme d'habitude. Et je ne vous parlerais pas de l'état psychologique désastreux de mon épouse, de mes enfants, et de mon frère et ma soeur, car ce type de maladie était mortel à l'époque de ma jeunesse. Ceci dit, pour être complètement juste et aussi curieux que cela puisse paraître, j'avais eu une sorte "d'intuition fulgurante" en mai 2004, lorsque j'étais venu en déplacement dans le Sud Ouest. Je me posais alors la question " est ce la région qu'il nous faut pour réorganiser notre vie après nos cinq ans en Guyane ?". Une réponse claire dans ma tête m'apparue de manière profonde et qui signifiait " dans 5 mois je serais très malade ". Ma phase de refus a commencé là, car en gardant cette possibilité de maladie juste pour moi, et en en refusant le contenu, il a bien fallu que mes réflexions me préparent à répondre à la question " et si c'était vrai, que ferais-je, que devrais je faire ? ". Et lorsqu'on a découvert la maladie, quelque part, je le savais déjà en quelle que sorte, et je le craignais. Mais je ne pensais pas à une maladie du sang, symbole ô combien fort de la vie, et de la mort. Heureusement, la médecine a fait des progrès énormes en quelques années, et tout de suite j'ai tenté de rassurer ma famille et mon entourage, en soutenant que ce serait un mauvais moment à passer, une épreuve à surmonter, mais que l'espoir de guérison était réel. Tout de suite, je me suis dit, il faut y croire, et y faire croire les autres. Autre aspect positif pour moi, mes lectures et mes réflexions spirituelles, m'ont évité finalement cette "descente aux enfers" de l'abattement total de la seconde phase, car j'avais déjà en moi, la certitude qu'existe le ressort spirituel de la vie au plus profond de notre être, en liaison avec le grand principe créateur que chacun nomme comme il veut ( Dieu, ..), car la vie a un sens.. D'où pour moi en final cette "acceptation de l'épreuve", car, et j’y reviendrais, elle devait sûrement m'être nécessaire et elle devait arriver dans ma vie. Et je suis rentré à l'hôpital 15 jours après en avoir eu le diagnostic. Mais accepter d’être malade, c’est aussi et surtout l'acceptation des souffrances physiques et mentales que j’allais subir. Et je dois vous dire que ce n’est pas une attitude passive, car il faut être convaincu que chaque instant est une victoire sur la maladie et nous rapproche de la fin de l’épreuve. Premiers traitements à l'hôpital, premières douloureuses souffrances physiques. Suivies de beaucoup d'autres, bien sur, dans ce corps physique qui se sent "cassé de partout" , ce qui réagit sur le moral et le mental. Mais dans ce cas là, on ne vit pas avec notre mental, on ne peut pas car la tête est comme le reste du corps, elle est aussi « cassée de partout » ; et paradoxalement, on vit avec nos émotions. Toutes ces émotions que notre culture nous incite à contrôler, à limiter, à empêcher d'apparaître, à mettre sous le boisseau du mental et de la raison. Et sans ce mental, le cœur parle vraiment. Et c’est un déversement d'émotions passées , ce sont nos idées, nos expériences, nos actions, nos jugements, sur sa vie, celle des autres, nos rapports avec les intimes, nos proches, notre entourage, notre environnement, le spirituel, etc.. Et pendant des jours et des jours, pendant ces longues périodes d'inactivité douloureuse sur le lit d’hôpital, mes émotions , essentiellement négatives, mes colères, mes animosités, mes jugements, mes peurs, mes angoisses, remontent, reviennent, se font revivre, dans un flot incessant et sans cesse différent . J’accepte, je ne fais aucun blocage à tout ce flux qui me submerge. Et dans le feu de mon corps et de mon esprit, ils se brûlent et se subliment, ils se dissolvent et se coagulent. Et dans cette sorte de purification, j’entrevois alors au fin fond de mon esprit, un espace vierge, un espace lumineux, un espace pur fait de sagesse et d’amour : c’est un autre moi-même, à la fois moi et différent de moi, celui que je cherche à être sans jamais le pouvoir, et pourtant celui que j’ai toujours été. Toute cette épreuve a assez profondément modifié ma philosophie de la vie. En effet, je crois maintenant que c'est nous-même de manière "subconsciente" qui faisons notre vie, toute notre vie. On n'en a aucune (ou disons très peu) conscience, trop intellectuels et matérialistes que nous sommes, du moins pour moi. Je parle de cette "subconscience" des archétypes qui nous anime et régénère nos forces lors du sommeil par exemple. Subconscience à la fois individuelle et collective, car en relation avec tous les autres êtres, du monde et sûrement de l’univers. Mais dans les choix de vie que nous faisons, que nous avons fait peut-être avant de naître, nous avons la possibilité d'accepter ou diminuer les épreuves à surmonter. Tous ces choix sont faits en parfaite adéquation avec le principe du Grand Architecte de l’Univers. Ces choix sont notre responsabilité entière et totale, mais c'est aussi cela notre liberté réelle et notre libre arbitre au niveau "subconscient", et c'est aussi pour cette raison que l'avenir n'est pas écrit, mais qu'il ne peut être que "prédit". En corollaire, il n’y a pas pour moi de hasard, il y a des circonstances qui nous mettent en face d’épreuves à surmonter. Ne me demandez pas si c’est pour payer une dette au sens du karma, ou si c’est pour notre évolution spirituelle, je n’en sais rien, mais cela peut être pour ces deux raisons et pour d’autres encore. J'ai maintenant la certitude que l'une des seules attitudes que l'on doit avoir dans la vie, c’est d’être un être d’amour. A la constatation dans le monde que "la haine attire la haine, la violence attire la violence", on ne peut qu'opposer une attitude inverse à cet égrégore de malheur. On ne peut avoir des relations sereines avec les autres, avec soi-même, avec ses intimes, avec le monde, qu'en aimant les autres, qu'en s'aliénant nos jugements personnels intellectuels sur les autres, sources de conflits ou d'intérêts exagérés. Mais envoyez de l'amour et il vous reviendra. On ne peut faire ou construire quelque chose qu'avec des gens que l'on aime et apprécie, c'est une évidence mais que je dois rappeler. Aimer les autres, c’est se protéger des violences externes, et c'est s'attirer les sympathies et les heureux événements. C'est voir et vivre la vie avec joie. Ajouté à une confiance dans la vie, sur sa " mission sur terre" et ses épreuves, et j'ai maintenant plus de certitudes que d'incertitudes sur le bien- fondé de cette attitude dans la vie . J'ai bien conscience que ceci a été déjà dit et écrit de nombreuses fois. La différence maintenant, c'est que le concept intellectuel est passé de la raison au cœur, à l'émotionnel , je dirais presque dans le domaine de la foi, c’est donc pour moi maintenant une constante de vie sans remise en cause possible par la raison. De ce que j’ai vécu, je crois que « Marier ou fusionner son être avec son espace vierge et pur », c’est je crois cela le chemin, illustré dans d’innombrables symboles et mythologies. Je pense à tout ce qui évoque les descentes aux enfers, les princes charmants et les princesses ensorcelées, certains aspects de la Vierge Marie, des Vierges noires et autres « Isis voilée » . Je m’arrêterais sur deux symboles que j’ai trouvé dans la littérature maçonnique. Le premier est l’épreuve du feu de l’initiation au 1er degré. Je cite le rituel, lorsque le récipiendaire vient de la subir : LE VÉNÉRABLE MAÎTRE Récipiendaire, dans ce voyage vous n’avez entendu aucun bruit. La signification de ce symbole est que si l’on persévère résolument dans la Vertu, la vie devient calme et paisible. Les flammes par lesquelles vous êtes passé figurent le quatrième élément symbolique des Anciens : puisse le Feu qui vous a enveloppé se transmuer dans votre cœur en un amour ardent pour vos semblables, puisse la Charité inspirer désormais vos paroles et vos actions. Nous retrouvons bien dans ce passage tous les ingrédients que j’ai décrit auparavant, dans un triptyque vertu - transmutation du cœur - feu. J’ai décrit cette impression de feu dans le « brûlage » de mes émotions négatives en début de planche. La couleur symbolique du feu est le rouge. Il faut savoir de plus que la couleur rouge du sang est donnée par des oxydes de fer .Ce fer, nos ancêtres ont eu bien du mal à l’extraire du sol, car le feu de bois n’atteint pas une température suffisante, et il fallait au néolithique un feu d’enfer pour y parvenir. Le feu et le sang sont liés dans notre subconscient collectif. Le feu de la fièvre et de la souffrance calcine nos impuretés. Le feu est aussi le symbole de la lumière, et donc de la vertu, l’amour, comme je le disais, qui transforme notre vie totalement, la rend paisible , nous protége, et nous transforme je pense même physiquement. Le second symbole du rituel est le VITRIOL. Je cite : Ce mot, d’origine alchimique, sont les premières lettres de la formule hermétique Visita Interiora Terrae, Rectificandoque, Invenies, Occultam Lapidem. Soit « Visite l'intérieur de la terre et en te rectifiant tu trouveras la pierre cachée ». On trouve une variante avec un « operae lapidem » Qui donne, selon une autre traduction, « Descends dans les entrailles de la terre, en distillant tu trouveras la pierre de l'œuvre. » Le terme alchimique « rectifier » signifiant distiller, filtrer, purifier, retirer les impuretés. Quoiqu’il en soit, ces initiales ont formé un mot initiatique, qui exprime la loi d'un processus de transformation, concernant, le retour de l'être au noyau le plus intime de la personne humaine... Ce qui revient à dire: Descends au plus profond de toi-même et trouve le noyau insécable, sur lequel tu pourras bâtir une autre personnalité, un homme nouveau. C'est la synthèse exprimée des opérations alchimiques, aux divers niveaux de transformation considérés, que ce soit celui des métaux ou que ce soit celui de l'être humain. Ces derniers extraits de la littérature montrent que j’ai du approché , un peu, le processus intérieur et intime de cette transformation. Mais ce processus, pourquoi le faire dans la souffrance ? C’est ce qui va me permettre de parler de la voie de la souffrance, titre de ce texte. Nous vivons dans la culture de la religion chrétienne, dont le symbole du Christ sur la Croix fait référence à la voie ultime de la souffrance et des épreuves à surmonter, présentées finalement comme une nécessité pour évoluer spirituellement. La toile de fond signifiant qu'on n'est pas sur terre pour s'amuser, mais que nous avons tous un rôle à jouer, une mission à remplir, dans l'évolution globale des hommes , des êtres, de la terre et de l'Univers. Donc que la vie, ce sont des bons moments dont il faut profiter, mais c'est aussi une suite de désagréments plus ou moins difficiles à accepter et à passer. La mauvaise question est alors " qu'est qu'il faut expier ?", quasi sans réponse, et la bonne est " comment cela marche et est ce efficace ?" Le but de la souffrance est, je crois, en quelque sorte l'apprentissage de la leçon, mais c’est cet apprentissage qui est le processus fondamental et essentiel de l'évolution de l'être vers le spirituel, qui transforme les concepts psychologiques en vrais principes de vie. ( Je me pose toujours la question : peut on faire cet apprentissage sans souffrir ? ) Transformer dans notre espace émotionnel les pulsions et instincts de l'animal qui sont en nous en concepts de l'homme raisonnable, cela est nécessaire, c’est la première étape en quelque sorte intellectuelle. Mais la transformation de ces concepts intellectuels en principes de vie est une étape indispensable pour évoluer spirituellement, et dépasser cette dimension simplement "raisonnable" de l'homme qui n'est qu'une étape de notre évolution. Nous vivons dans un monde de souffrance, et nombreux sommes-nous en ce moment à avoir choisi cette voie difficile. J’ai maintenant une profonde compassion pour ceux qui souffrent, et j’espère que pour chacun d’eux, l’épreuve ne sera pas vaine, qu’ils réussiront à avancer, et à faire évoluer leur être. C’est pourquoi je ferais un clin d’œil à la médecine chinoise ( corps – esprit – énergie) , car je suis intimement persuadé que la première clef pour peut-être pas cesser de souffrir, mais souffrir différemment, c’est l’acceptation de soi-même, s’accepter tel que l’on est avec ce que l’on a, accepter les autres, accepter le monde tel qu’il est. C’est le corps, la matière. La seconde clef est la compréhension de la valeur « transformatrice de soi-meme» de ces difficultés que l’on a en face de soi et c’est l’acceptation des épreuves que l’on a à surmonter, que nous nous sommes données, j’insiste, et donc que l’on peut réussir à dépasser. Ce dépassement est le chemin. La vie est belle, ici et maintenant. C’est l’esprit. La dernière clef est, bien évidemment, l’énergie de l’amour que l’on peut donner et recevoir. Il faut faire éclore la fleur de notre cœur. Et lorsque l’on n’aura plus aucune épreuve à surmonter, donc peut être aucune dette à payer, eh bien, c’est que nous serons arrivés au bout du chemin. Ce ne peut être que cette voie d’amour qui fera que la paix règnera sur la terre. En intégrant ces trois clefs, on pourra changer notre approche culturelle de la souffrance : commencer par dire que la vie est une suite de joies entrecoupées de souffrances , et non l’inverse ; comprendre que l’étape ultime de la vie n’est pas une souffrance, mais une joie , car on a accompli ce qu’on avait à faire et on a contribué à l’évolution de l’homme, de tous les hommes. C’est donc une indéfectible confiance dans la vie, qui permettra la substitution des symboles religieux de souffrances par des symboles d’amour. Ne plus avoir peur de la mort, c’est à son seuil, pouvoir répondre positivement à la question que je me poserais « qu’ai-je fait de ma vie ? Ai-je tout fait pour que l’amour règne parmi les hommes et que la joie soit dans les cœurs». C’est une révolution spirituelle qui j’espère aura lieu dans les siècles à venir. Je terminerais en faisant trois remarques : Pour les mystiques que j’ai étudié, il me semble que lorsque l’on est suffisamment purifié pour se fondre avec son double de lumière, ou la divinité, cela s’appelle des noces spirituelles ou noces mystiques. Je ne saurais dire si cela correspond aussi au Satori des moines ZEN. Mais c’est semble t’il , le commencement d’un nouveau chemin où l’impétrant prend sur lui la souffrance des autres pour les soulager. L’étymologie du mot AMOUR est A privatif et MOUR mort, soit « sans mort ». Et c’est vraiment cela qui permet de dépasser la mort ( anti-mort ?). J’ai essayé d’être le plus fidèle possible à ma perception de l’épreuve que j’ai subi, mais comme toute construction mentale, il doit y avoir de l’illusion dans tout ce que je viens de dire. Je ne saurais dire combien. Je remercie chaleureusement tous ceux qui m’ont accompagné dans cette redoutable épreuve ; car sans eux, sans vous, elle aurait été encore plus difficile. Je vous souhaite à tous beaucoup d'amour. Toujours plus d’amour.
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